Pourquoi aborder ici le sujet du trauma psychologique ?
Parce que le trauma est une partie quasi universelle de l’expérience humaine qui nous empêche de vivre pleinement.
Je suis persuadée que le trauma psychologique se trouve à la source de la plupart de nos problèmes à travers le monde et nous empêche de collaborer pour créer un monde plus sain et plus juste. Il empêche les êtres humains d’être plus conscients car la pleine conscience (l’esprit et le cœur ouverts) est l’opposé du « mode survie ». Lorsque nous vivons avec des traumatismes non traités, nous vivons en mode survie (à des degrés variables, bien sûr) du point de vue de notre cerveau et de notre système nerveux, et par conséquent de nos perceptions et nos comportements. Autrement dit, consciemment ou inconsciemment (souvent les deux), le monde est pour nous un endroit dangereux. Nous baignons dedans : c’est notre réalité vue à travers le prisme du trauma.
Le trauma psychologique commence à sortir de l’ombre. Mais, il reste cependant un sujet sur lequel il y a beaucoup d’incompréhension et d’ignorance. La plupart d’entre nous portons de multiples blessures, en général de notre enfance, mais parfois aussi de notre vie d’adulte, souvent sans le reconnaître (délibérément ou inconsciemment). Le trauma est ainsi individuel mais il peut aussi être intergénérationnel, transmis de manière épigénétique et/ou via des dynamiques familiales. Ce que nous confondons avec notre identité (encapsulée dans des phrases telles « Je suis un angoissé ») ou qui aurait été étiquetée comme une maladie mentale serait plutôt le résultat d’un ou plusieurs traumatismes psychologiques – très souvent vécus dans l’enfance. Et l’étendue de ce qui peut être vécu comme traumatisant pour un enfant et nuire à son développement sain (le trauma développemental), est vaste. D’autre part, lorsque les symptômes du trauma ne sont pas identifiés comme tels, ils peuvent être vécus de manière culpabilisante, avec un sentiment de honte, d’insuffisance, alors qu’en réalité ce sont des réactions normales de notre système nerveux à des situations anormales (passées ou présentes). Ceci est aggravé par l’état d’esprit qui règne dans une société compétitive et individualiste.
Si la psychothérapie s’est popularisée ces quarante dernières années (bien que certaines personnes, dans le déni et la peur, pensent encore que ce soit pour « les fous » ou « les autres »), les traitements restent largement centrés sur l’individu, avec peu de prise en compte des facteurs sociaux, économiques et systémiques qui entretiennent la « maladie » mentale à grande échelle. On parle ainsi du trauma systémique lié aux injustices et inégalités sociales. Dans la communauté des thérapeutes à la pointe du traitement des traumatismes psychologiques, la nécessité de s’occuper du trauma à tous les niveaux est de plus en plus reconnue : le niveau individuel mais aussi familial, intergénérationnel, collectif et même global. Il n’est pas possible de créer un monde sain et heureux avec des populations qui n’ont pas guéri des blessures de générations de guerres, d’oppression et d’autres traumatismes (malheureusement très nombreux) ou qui les vivent encore. Et cela n’est pas possible non plus si les personnes à tous les niveaux du pouvoir n’ont pas guéri leurs propres traumatismes.
Le trauma est une blessure non soignée, qui reste active dans notre corps, notre psychisme et nos relations aux autres. Il nous empêche, de diverses manières, de connaître et d’incarner les attitudes et les états qui nous rendent réellement heureux et qui nous permettent d’avoir des actions justes : le non-jugement, l’accueil, l’ouverture du cœur, la compassion, le partage, l’altruisme, la créativité – et des limites saines. Et ce sont précisément ces attitudes et ces positionnements-là qui nous permettent aussi de guérir. Pour certaines personnes de tels états peuvent être difficiles voire quasi impossibles à atteindre, car les blessures psychologiques créent le besoin de se protéger, que ce soit par la fuite, le combat ou l’inhibition sous une forme ou une autre, et bien souvent par la dissociation. Ces blessures impactent aussi le cerveau, surtout du jeune enfant. C’est pour cela que la notion de l’attachement est si importante. Quelqu’un qui a eu un attachement suffisamment sécure à la personne qui s’occupait principalement de lui enfant sera plus résilient face aux difficultés et aux sources de traumatisme potentiel.
Nous pouvons créer un monde meilleur, mais ce ne sera pas sans la guérison du trauma au niveau individuel, familial, communautaire, sociétal. Et cela demandera une vraie volonté collective de regarder le phénomène du trauma en face, de chercher à le comprendre – le sien ET celui des autres – et de mettre en place ce qu’il faut pour reconnaître et soigner nos blessures. La phrase « Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le répéter » (du philosophe hispano-américain Jorge Santayana) est tellement pertinente lorsqu’il s’agit du trauma à tous les niveaux. Le trauma se répète (sous des formes qui peuvent paraître éloignées de la blessure initiale) tant qu’il n’a pas été vu, reconnu, identifié et traité. La guérison du trauma est une libération qui contribue à créer les conditions d’une évolution saine, de l’épanouissement d’une personne et d’une communauté.